Les sociétés militaires privées en Russie : état des lieux et enjeux stratégiques
🕮 Article publié initialement sur le Portail de l’Intelligence Économique (Portail-IE) en février 2016, dans le cadre de mes études à l’École de Guerre Économique (EGE).
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Des sociétés militaires privées à la russe
Souvent évoquées à travers l’exemple des États-Unis ou de la France en Afrique, les sociétés militaires privées (SMP) russes restent encore méconnues. Pourtant, depuis les années 2010, ces structures para-étatiques se déploient dans plusieurs zones stratégiques, de la Syrie à la Corne de l’Afrique, dans un flou juridique assumé.
Les SMP : de contractors occidentaux aux mercenaires russes
Les SMP réalisent des missions variées : conseil, formation, sécurité rapprochée ou protection de sites sensibles, souvent dans des zones de conflit. Le terme contractor désigne ces employés liés par contrat, à distinguer juridiquement du mercenaire.
Longtemps considérées comme une spécificité anglo-saxonne, les SMP se sont développées dans les zones grises du droit international. En 2009, on comptait déjà près de 130 000 contractors en Irak. Ces sociétés ont été accusées d’excès, mais restent un pilier de la stratégie occidentale de guerre “sans morts officiels”.
En Russie : des structures discrètes, mais actives
Des sociétés comme Moran Security Group, RSB Group ou le Slavonic Corps incarnent l’émergence russe dans ce secteur. Ce dernier, enregistré à Hong Kong, aurait envoyé près de 200 hommes en Syrie pour sécuriser des installations pétrolières sous contrôle loyaliste. Des témoignages accréditent leur participation directe aux combats.
Ces sociétés sont également actives en Libye, au Tchad, et surtout en mer : elles protègent les navires russes face à la piraterie dans la Corne de l’Afrique. Certaines vidéos documentent des actions musclées contre les pirates présumés.
Légalisation ou contrôle étatique renforcé ?
La Russie n’a pas encore officiellement légalisé les SMP. Le mercenariat reste passible de 8 ans de prison. Pourtant, Vladimir Poutine, en 2012, avait exprimé son soutien à une forme de régularisation. Depuis, plusieurs propositions de lois ont été déposées à la Douma.
La plus connue, en 2015, visait à encadrer ces entreprises via un régime de licences délivrées par le ministère de la Défense. Elle imposait aussi que les missions soient compatibles avec les intérêts de l’État russe. Malgré cela, le projet a été rejeté pour motifs juridiques insuffisamment solides.
Officiellement, le FSB et le ministère de la Défense restent opposés à toute légalisation, craignant des structures armées agissant sans contrôle direct. Pourtant, leur existence de facto semble bien tolérée.
Outil d’influence dans l’Arctique, au Moyen-Orient ou au Donbass ?
Les SMP russes, en particulier Wagner depuis 2014, ont été instrumentalisées comme levier d’influence discrète dans des théâtres sensibles. En assurant des missions stratégiques là où l’armée régulière ne peut intervenir officiellement, elles offrent à Moscou une puissance de projection à bas bruit, notamment en Afrique ou au Moyen-Orient.
Certaines propositions de loi évoquaient leur utilité pour protéger les intérêts russes dans l’Arctique. Le débat n’est donc pas clos, entre légalisation partielle, usage tactique et ambiguïtés diplomatiques.
🧠 Conclusion
Les sociétés militaires privées russes illustrent un modèle hybride entre intérêt commercial, projection stratégique et opacité juridique. Le Kremlin avance à pas feutrés : ni validation officielle, ni interdiction réelle. À l’heure où la guerre devient de plus en plus indirecte, les SMP russes sont un instrument de puissance qui mérite d’être suivi de près.
[1] Maurice Dayan, « Zéro mort, guerre infinie », Le Coq-héron 2003/4 (n 175), p. 101-111. [2] Moscow daily mulls future of Russian private military companies, BBC Monitoring Former Soviet Union – Political, 19 novembre 2014.
[3] Raskin, Alexander, Government rejects bill to introduce private military contractors in Russia, RusData Dialine – Russian Press Digest, 24/09/2015
[4] Raskin, Alexander, The law on private military security organizations started the secound round, DEFENSE and SECURITY (Russia), 14/12/2015 Source image: http://syriaunion.com