Le Delaware : un paradis fiscal bien réel… au cœur des États-Unis
🕮 Article publié initialement sur le Portail de l’Intelligence Économique (Portail-IE) en 2016, lors de mes études à l’École de Guerre Économique (EGE).
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Le Delaware : un paradis fiscal bien réel… au cœur des États-Unis
Alors que les révélations du scandale des Panama Papers éclatent, une question s’impose : et les États-Unis dans tout cela ? Derrière leur posture de gendarme fiscal mondial, les Américains hébergent eux-mêmes des territoires qui n’ont rien à envier aux paradis fiscaux traditionnels.
Des États comme le Dakota du Sud, le Nevada ou, surtout, le Delaware, sont devenus les nouvelles plaques tournantes du secret bancaire, selon Bloomberg. Une ironie frappante, alors que les États-Unis refusent toujours de signer l’accord d’échange automatique de renseignements fiscaux, promu par l’OCDE… et auquel la Suisse, Jersey ou les îles Caïmans ont pourtant adhéré.
Rothschild, Trident Trust et le grand transfert des capitaux
Certaines institutions financières, comme Rothschild & Co, ont discrètement ouvert des filiales dans ces États fiscalement « hospitaliers », notamment à Reno, Nevada. Leur objectif : rapatrier les capitaux des anciens paradis fiscaux vers les États-Unis. Selon Trident Trust, société spécialisée dans les services offshore, le nombre de clients délocalisant leurs comptes vers le Dakota du Sud a explosé. Sa présidente s’en disait elle-même "surprise".
Le professeur Gabriel Zucman (Berkeley) estime que les banques suisses détiennent encore 1 900 milliards de dollars sur des comptes offshore. Une manne qui, progressivement, migre vers l’Amérique.
Le cas du Delaware : un paradis fiscal assumé
Avec près d’un million d’entreprises enregistrées pour 935 000 habitants en 2014, le Delaware est un cas d’école. Le célèbre 1209 North Orange Street à Wilmington abrite à lui seul des centaines de grandes entreprises américaines, parfois réduites à une simple boîte aux lettres.
Le coût annuel pour domicilier une société ? Environ 400 dollars, incluant adresse postale et tâches administratives. L’opacité y est totale : pas besoin d’indiquer le nom du propriétaire ou des dirigeants. Une entreprise peut y être créée en une heure, sans présence physique ni réelle activité économique.
Pascal Saint-Amans, alors directeur à l’OCDE, résumait la situation :
"Un système connu de tous, mais que personne ne veut vraiment remettre en cause."
L’hypocrisie de la guerre contre l’évasion fiscale
Pendant que les États-Unis sanctionnent des banques suisses ou des entreprises étrangères via des lois extraterritoriales comme le FCPA ou le FATCA, ils offrent une discrétion fiscale exemplaire… à domicile. Même le sénateur Carl Levin dénonçait en 2015 que "les États-Unis sont parmi les pires élèves mondiaux en matière de sociétés anonymes".
Le paradoxe est total : le Congrès impose aux banques étrangères de livrer les données de clients américains, mais le Delaware, le Wyoming ou le Nevada n’ont toujours pas de registre des bénéficiaires effectifs.
Une prise de conscience tardive ?
Le président Barack Obama lui-même affirmait fin mars 2016 qu’il fallait "savoir qui se cache derrière une société". Quelques jours avant l’explosion du scandale des Panama Papers, l’administration évoquait une réforme possible… mais aura-t-elle le temps de la faire voter ?
Pendant ce temps, les États-Unis continuent d’utiliser le droit comme une arme géopolitique et économique, tout en cultivant chez eux les conditions fiscales que leurs alliés sont priés d’éliminer.
🧠 Conclusion
Le Delaware n’est pas un simple détail fiscal américain : c’est un révélateur d’une hypocrisie systémique. Dans une économie mondialisée, la transparence ne peut être à géométrie variable. Il est urgent d’ouvrir les yeux sur ces paradis fiscaux d’État… même (ou surtout) lorsqu’ils se situent à quelques kilomètres de Washington.
Article écrit sur le Portail de l'IE lorsque j'étais étudiant à l'EGE