TikTok, nouveau champ de bataille politique : stratégies, influences et enjeux 2027
Le cycle 2024–2025 a installé TikTok au cœur du jeu politique. Aux États-Unis, l’analyse de 51 680 vidéos de la présidentielle 2024 montre que les contenus les plus partisans et “toxiques” captent systématiquement davantage d’engagement. En Europe, la Commission a enclenché des procédures formelles au titre du Digital Services Act (DSA) pour risques électoraux, tandis que des enquêtes indépendantes documentent des biais de recommandation profitant aux droites radicales. Résultat : les états-majors refondent leurs plans médias et les régulateurs haussent la barre à l’approche de 2027.
Contexte & cadre de référence
TikTok est classée très grande plateforme (VLOP) et soumise au DSA : évaluation des risques systémiques (désinformation, atteinte à l’intégrité des élections), mesures d’atténuation, audits et transparence. Ce cadre, désormais en phase d’exécution, autorise des procédures et, in fine, des sanctions financières en cas de manquements. C’est sur ce fondement que la Commission a ouvert des procédures formelles aux risques d’ingérence électorale et à la transparence publicitaire.
Côté techno, l’algorithme “Pour toi” optimise le temps de vision et l’interaction, privilégiant les contenus émotionnels et polarisants. Côté géopolitique, la défiance stratégique envers la maison mère chinoise de TikTok nourrit une schizophrénie de communication: les acteurs politiques investissent la plateforme que les pouvoirs publics surveillent et, parfois, menacent ou même interdisent.

Ce que montrent les données
Engagement & polarisation : l’étude Harvard Misinformation Review (août 2025) confirme que les contenus toxiques et explicitement partisans génèrent significativement plus d’interactions ; immigration et fraude électorale sur-performent.
« toxic and partisan content consistently attracts more user engagement ».
Biais de recommandation : en Allemagne (2025), Global Witness observe que des profils “neutres” reçoivent sur TikTok environ deux fois plus de contenus pro-droite dure que centristes/gauche, avant le scrutin fédéral.
Virage coercitif du DSA : la Commission a formellement ouvert des procédures contre TikTok pour risques électoraux et lacunes de transparence (répertoire publicitaire), signalant une montée en intensité de l’application du règlement.
TiikTok devient un multiplicateur d’attention à coût marginal faible, mais ses incitations algorithmiques penchent vers la simplification clivante. Les partis “courts et clairs” y gagnent un avantage structurel. Les offres programmatiques nuancées subissent un handicap de format. Pour 2027, l’arbitrage n’est pas “TikTok ou TV/Radio”, mais comment articuler une présence native (codes, créateurs, mèmes) avec des canaux de conversion (mailing, meetings, TV, presse) et des voies de crédibilisation (long-format, interviews). Sans cette chaîne complète, un pic d’audience ne convertit pas en voix — le précédent 2022 l’a rappelé, où l’excellence numérique n’a pas suffi à franchir un seuil électoral critique pour certains candidats.

Et à l’international ?
Aux Etats-Unis, campagnes et méga-influenceurs exploitent massivement TikTok malgré l’hostilité réglementaire. Les équipes calibrent des comptes “institutionnels” et “mèmes” pour nourrir des audiences jeunes, en assumant la logique d’affects (humour, confrontation, slogans). L’étude Harvard confirme que ce positionnement maximise l’engagement, en particulier sur les thèmes inflammables.
En Allemagne, le cas AfD illustre l’’autoroute algorithmique” des messages identitaires : l’enquête Global Witness montre que, à profil neutre, l’algorithme recommande davantage de contenus droitisants, mécaniquement plus performants en attention. Cet avantage de format pèse sur les stratégies des partis modérés, qui peinent à concilier nuance et viralité.
La Commission européenne couple désormais évaluation et contentieux : ouverture de procédures pour risques électoraux et non-conformités DSA (ex. répertoire publicitaire), avec l’objectif explicite de « protéger nos démocraties ». Cette inflexion change la donne pour 2027 : les plateformes devront prouver ex ante leurs atténuations de risques durant les cycles électoraux.
Le DSA montre des avancées, mais sa mise en œuvre reste progressive : les procédures et observations de déficiences (manque de transparence publicitaire, risques liés aux élections) révèlent un développement encore partiel. Les équipes devront mettre en place une surveillance continue de la conformité et des stratégies alternatives de distribution des contenus, notamment en dehors de TikTok, durant l'évolution du cadre juridique européen. (Commission européenne)
La campagne présidentielle 2027 impose de considérer TikTok comme un nécessaire outil de pénétration d'un segment électoral spécifique (les plus jeunes) et non comme l'alpha et l'oméga de la stratégie de communication. Il ne faut pas se laisser guider par la “tendance first” et ne pas oublier également que les jeunes sont électeurs qui se mobilisent peu durant les élections.
Les indicateurs de suivi à privilégier ne sont pas les "vanity metrics" (nombre de vues ou d'abonnés), mais des indicateurs d'impact : l'évolution de la notoriété et de l'image du candidat au sein de la cible 18-34 ans (mesurée par des sondages réguliers) et la capacité à imposer des thèmes dans le débat sur la plateforme. La prochaine échéance électorale nationale servira de test pour évaluer la capacité des différentes forces politiques à transformer l'engagement numérique en mobilisation électorale effective.
Sources
— European Commission – DSA : procédures formelles pour risques électoraux & transparence publicitaire (16 déc. 2024 ; 14 mai 2025).
— Harvard Misinformation Review (20 août 2025) : Toxic politics and TikTok engagement in the 2024 U.S. election.
— Global Witness (20 févr.–27 mars 2025) : TikTok and X recommend pro-AfD content to non-partisan users.